Quel avenir pour le prix du livre ???

Publié le par Manuel Soufflard

                                                                 

 

Il n’aura échappé à personne s’intéressant un tant soit peu à l’avenir du livre qu’un vent de révolte s’est il y a peu levé contre des amendements (UMP, finalement rejetés) visant à limiter les effets d’une loi de 1981, la fameuse « loi Lang » sur le prix administré du livre.

                               

Essayons de s’extirper des passions que ne manquent pas de susciter cette question et analysons les effets de cette réglementation qui fait figure de référence de "l’exception culturelle" dans de très nombreux pays.

 

L’objectif de cette législation étaient pluriels : opposée au « prix libre » (la classique loi du marché d’équilibre offre/demande), elle doit garantir une diffusion plus ample de la culture par un prix unique sur le territoire (principe d’égalité d’accès) et éviter notamment une favorisation des villes.

 

Elle doit également permettre la diversité de la distribution : avec un prix de vente garanti, les petites librairies peuvent maintenir leurs marges (pas de guerre des prix) et éviter le phénomène mis à l’œuvre dans le disque (disparition de tous les petits points de vente), et la domination absolue de la grande distribution (éviter  « rente ricardienne » et monopole)
                                          

                                                              
 

 

La multiplication du nombre de zones de ventes pourrait également permettre de multiplier les occasions de ventes pour ce « produit » perçu comme favorable à la société, par les implications sociales et intellectuelles qu’il met en œuvre.

 

C’est enfin la peur de la généralisation du discount sur un nombre restreint de titres (« best-sellerisation » des ventes) qui a suscité sa rédaction, afin d’encourager la pluralité éditoriale.

 

Analysons point par point les conséquences réelles de cette loi sur le marché afin de se faire une idée. Le principe d’égalité d’accès est plutôt obtenu, même si l’accès est encore très différencié entre villes et campagnes, puisqu’il existe de nombreux « déserts de libraires ».

 

Indéniablement, la sauvegarde d’un tissu riche de point de distribution est le grand succès de cette loi, les librairies indépendantes étant encore légion, même si la grande distribution prend du poids et que ce prix artificiel ne permet pas « l’optimum de Pareto » (le prix le plus bas possible par les effets de la concurrence selon la théorie économique « classique »).

 

Cette diversité de lieux d’achat ne nous permet pourtant pas d’affirmer d’effets prouvés sur le volume de vente de livre : les Anglais, qui connaissent le système du prix libre lisent toujours plus que nous ! De la même manière, les ventes sont de plus en plus tirées par les best-sellers, le prix fixe ne garantit donc pas plus que ça la diversité éditoriale.


                                                           
 

Pour aller plus loin…Les conclusions ne peuvent qu’être partielles puisque les effets dépendent des situations particulières. Ainsi en Espagne, où le prix administré fut instauré plus tardivement, il semblerait que le phénomène profite davantage aux grands chaînes, puisque elles ont pu « occuper le marché » dans un premier temps, puis profiter des marges avantageuses que garantit le prix fixe : le phénomène de « rente de situation » est à l'oeuvre.

 

Dans tous les cas, les deux visions économiques différenciées de la culture (la « libérale » et celle « de l’exception ») se retrouvent dans le fait qu’un marché dans une situation ne doit être bouleversé qu’avec une grande prudence, afin de ne pas fragiliser un marché important pour l’équilibre d’une nation.

 

Effets sur les administrations publiques : selon la théorie classique, la régulation ne permet pas l’utilisation optimum des ressources, qui permet l’efficacité des entreprises et le plus bas prix possible pour les consommateurs. L’effet d’aubaine pour les entreprises empêcherait  une efficacité accrue, les consommateurs paieraient trop cher leurs livres. Et les rentrées fiscales seraient moindres pour l’Etat ! Cela est contrebalancé pour les pouvoirs publics par une richesse accrue du débat d'idée, des "actifs immatériels" qui n'ont au propre comme au figuré pas de valeurs.

 

Effets sur les consommateurs. Le fait que le prix ne soit une variable de différenciation plutôt marginale par rapport au reste de l’économie favorise donc les autres éléments du « marketing mix », à savoir les moyens de communication (les « gros » sont favorisés), les lieux de distribution (là ce sont les sites de libraires en ligne et les commerce de proximité) et le produit (et là c’est l’innovation et la notoriété qui payent). F. Hayek parle en outre de « distorsion de concurrence » dans ce type de cas, qui doit théoriquement se traduire par une hausse du prix à long terme.


                                                              
 

Effets sur les entreprises de distribution (ou « libraires ») : puisque la différence ne se fait plus sur le prix des produits vendus (ou « livres »), les nouveaux enjeux concurrentiels sont la communication, le marketing et les services. Plus l’entreprise est grosse, plus elle est en mesure de mettre en œuvre des économies d’échelle pour agir non plus sur ces recettes (« bloquées ») mais sur ses coûts. Les libraires de proximité doivent offrir des services…de proximité (conseils, disponibilité) pour s’aligner, une position difficile à soutenir à plus long terme.

 

Une ultime critique repose sur le fait que cette loi n’a pas augmenté le nombre de lecteurs (son objectif premier est pourtant la diffusion culturelle) ni ne préserve de la concentration : il n’est qu’à voir ce phénomène à l’œuvre en France, tant dans la distribution que l’édition.

 

Pire, cette législation d’inspiration sociale a pour effet paradoxal d’augmenter les marges des grands acteurs, bénéficiant de la protection du prix fixe. La rentabilité des acteurs s’est en effet accrue, sans que cela ne se répercute sur les salaires, les entreprises profitant largement de la passion des professionnels pour "sous-rémunérer", eu égard à leurs taux de rentabilité que leur envient parfois…les banques !!!

 

Une réussite à modérer donc, et surtout à analyser au cas par cas...

                                                               

Publié dans Apostrophes

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